Comment expliquer la crise des running-backs en NFL ?
Ce n’est pas un secret, la NFL est dans une sorte d’âge d’or du jeu de passes. Le quarterback est roi, les receveurs font partie de la cours, et les running-backs ont été dévalué. Les équipes de NFL n’ont ainsi aucun mal à casser la banque pour payer leur QB star, mais elles ne veulent plus donner de gros contrats aux RB. La crise couve depuis plusieurs années maintenant, et cette intersaison 2023 est le point de rupture entre des joueurs mécontents et des franchises désintéressées. Aujourd’hui, on peut se demander si la situation va se débloquer ou si la position de running-back va « mourir » ?
Une intersaison de rupture
S’il y avait des divergences et des incompréhensions lors des saisons précédentes, la situation a clairement escaladé durant cette intersaison. Le crise entre les RB et les franchises NFL est ouverte.
Le premier signal a été de voir plusieurs RB stars ne pas être conservés ou même être coupés par leurs franchises. Ainsi, Ezekiel Elliott, Leonard Fournette, Kareem Hunt ou Dalvin Cook sont tous devenus agents libres, et à ce moment précis, ils le sont toujours. Il est ainsi étonnant d’avoir des joueurs de 27-28 ans, très talentueux, sans clubs.
Le deuxième signal est la frilosité des franchises NFL pour donner de nouveaux contrats à leurs RB stars. Les négociations n’avancent pas, et dans plusieurs cas elles débouchent sur des incompréhensions et des mécontentements.
Voici quelques exemples de running-backs de renom qui souhaitent prolonger, mais qui n’obtiennent pas ce qu’ils veulent :
- Saquon Barkley (New York Giants). Les discussions entre Barkley et les Giants ont été tendues, mais ce sont les seules qui ont abouti sur un accord. La franchise avait initialement mis le « Franchise Tag » sur son RB (1 an, 10 M$), mais le joueur souhaitait un nouveau contrat sur le long terme. Logique. Cependant les Giants semblent frileux à l’idée de s’engager dans la durée avec un joueur qui a déjà connu de nombreux pépins physiques.
Au final, Barkley a accepté de signer un « petit » contrat d’1 an à hauteur de 11 millions de dollars, bien loin de ce qu’il visait. Mais le RB a décidé de mettre un peu d’eau dans son vin, disant « comprendre le business ». Il y a une clause de « no tag » dans ce contrat, et il espère surement que le marché se débloque l’année prochaine.
- Josh Jacobs (Las Vegas Raiders). Il y a un an, les Raiders avaient refusé d’activer la 5ème année du contrat de Jacobs, et ce dernier a répondu avec sa meilleure saison en carrière. La franchise a décidé d’utiliser le « Franchise Tag » sur son RB, mais toujours pas d’extension en vue. D’après Mike Garafolo de NFL Media, une offre autour de 12 millions de dollars par an aurait été faite par les Raiders, mais le joueur vise bien plus.
- Austin Ekeler (Los Angeles Chargers). Il y a quelques mois, Ekeler avait demandé son transfert aux Chargers, prétextant un salaire bien en-dessous de sa valeur. Les performances du RB lui donnent plutôt raison, et sa frustration vient également du fait de voir des « WR remplaçants gagner plus que lui ». Pour lui, les franchises NFL ne respectent pas les RB à leur juste valeur. A court terme, Ekeler a accepté de rester à Los Angeles avec quelques primes supplémentaires pour 2023, mais il reste une voix forte du mécontentement, et il a même organisé une réunion avec d’autres running-back pour discuter de la situation.
- Jonathan Taylor (Indianapolis Colts). C’est le dernier sujet chaud en date, et il était attendu car Taylor était le candidat sérieux pour un nouveau contrat cette intersaison, notamment du fait d’un début de carrière de qualité. Le problème est que le Président des Colts n’a pas prévu de céder à ses demandes. Les deux hommes ont discuté en privé, et le résultat a été une demande de transfert de la part du joueur dans la foulée… Jim Irsay a refusé mais la relation semble être cassée entre Taylor et les Colts.
RB, un poste particulier
Mais pourquoi le poste de RB est-il au centre de cette crise ? Une question légitime pour ceux qui ont connu l’âge d’or des running-back, mais aussi une situation compréhensible quand on analyse les choses de plus près.
La position de running-back est très difficile, et les joueurs prennent beaucoup de coups. Il y a donc une « usure » plus rapide à ce poste, sachant que cela commence dès les années universitaires. Il y a longtemps eu la barre symbolique des 30 ans comme moment charnière pour le déclin d’un RB. Cependant, la vérité est semble-t-il encore plus cruelle, car beaucoup de joueurs déclinent après 3 ou 4 saisons en NFL.
Skip Bayless, de Fox Sports, a ainsi creusé un peu le sujet, et il a décidé de prendre un exemple dans le passé pour montrer que ce n’est pas nouveau. Le joueur analysé est Earl Campbell, légende des Houston Oilers et Hall of Famer, qui a joué à la fin des 70 et dans les années 80. Campbell a tout cassé en arrivant en NFL, avec un trophée de Meilleur Rookie en 1978, un trophée de MVP en 1979, et un autre de Meilleur Joueur Offensif en 1980. Pendant 3 ans, il a tout simplement été dominant. Mais à 26 ans, son déclin a commencé, et 5 ans plus tard il n’était déjà plus en NFL.
Le déclin plus rapide des RB n’est pas nouveau, et avec la baisse de l’importance du jeu au sol, la position connaît un désamour accru et brutal.
Un changement dans la stratégie des franchises
Il y a quelques années, il était très fréquent de voir des franchises NFL sélectionner des running-backs lors du 1er tour de la Draft, et parfois très tôt. C’est de plus en plus rare aujourd’hui. Les équipes préfèrent miser sur des joueurs entre le 2ème et le 4ème tour et ne pas prendre de risques à une position aujourd’hui vu comme non « premium ».
Et la vision est clairement sur le court-terme, aussi bien pour les franchises qui prennent des RB au 1er tour que pour les autres. Car il est possible de pousser un contrat rookie sur 5 ans, voire 6 ou 7 avec des « Franchise Tag », et il y a de grandes chances qu’un RB soit déjà sur le déclin à l’issue de ce premier contrat. C’est d’ailleurs sur ce sujet que des joueurs comme Austin Ekeler veulent se battre aujourd’hui, avec des espoirs de réformes surement utopiques.
Pour appuyer la stratégie des franchises NFL, il faut également dire que l’histoire récente ne va pas dans le sens des running-backs. En effet, plusieurs gros contrats ont été donnés dans les dernières années, et ils ont clairement refroidi l’ensemble de la ligue. Voici deux exemples qui ont certainement beaucoup joué dans la frilosité actuelle :
- Todd Gurley. Sélectionné au 1er tour (10ème choix) de la Draft 2015, Todd Gurley démarre fort en remportant le trophée de Meilleur Rookie. Il continue ensuite sur sa lancée et termine 2ème dans les votes pour le trophée de MVP en 2017. Dans la foulée, il signe une prolongation de contrat avec les Rams, de 4 ans pour 57,5 millions de dollars. Sa saison 2018 est encore très bonne, mais en fin d’année, on lui décèle de l’arthrite au genou. Fin 2019, Gurley n’est plus chez les Rams, et fin 2020 il n’est plus en NFL.
- Ezekiel Elliott. Pris en 4ème position de la Draft 2016, Elliott s’impose rapidement comme un joueur clé de l’attaque des Cowboys. Pendant 4 ans, il est excellent, et il est récompensé par une très belle extension en 2019 (6 ans, 90 millions de dollars dont 50 garantis). Mais à l’image d’Earl Campbell dans les années 80, son niveau a commencé à décliner après ces 4 saisons de haut niveau. Il a progressivement perdu de l’importance à Dallas, et il a été libéré durant l’intersaison.
Avec la baisse de l’importance du jeu au sol, les franchises ont également adapté leurs façons de jouer et leurs plans de jeu sur le backfield. Ainsi, de nombreuses équipes ne se reposent plus sur un « workhorse », à savoir un seul RB qui prend tous les ballons, mais plutôt sur des « comités » de running-backs qui se partagent le travail.
Et ici aussi l’histoire récente va à l’encontre des RB. Lors du dernier Super Bowl, les Chiefs ont gagné avec un RB rookie (Isiah Pacheco), et les Eagles avaient également un RB sous contrat rookie (Miles Sanders). D’ailleurs, Philly n’a pas prolongé Sanders après sa grosse saison et l’a laissé partir, préférant recruter deux autres joueurs qui coûtent moins cher.
Déjà en 2019, Kansas City avait remporté le Super Bowl avec Damien Williams comme RB le plus prolifique. C.J Anderson était le numéro 1 pour les Broncos lors du Super Bowl 50… On peut également citer les Patriots, experts dans ce domaine, qui ont gagné des titres avec LeGarrette Blount ou Sony Michel.
La conclusion est sans appel, il ne semble pas être nécessaire d’avoir un top RB pour remporter le Super Bowl… Pas étonnant donc de voir des franchises investir 50 millions par an dans leur QB, et se contenter de contrats rookies ou de contrats d’1 an sur le backfield.
Quel futur pour le poste de running-back ?
Il reste évidemment d’excellents running-backs en NFL, et on ne peut pas dire que la position est « morte ». Mais elle évolue, et le sport évolue aussi. En ce qui concerne la position, les joueurs polyvalents, capable d’également contribué dans le jeu aérien comme Christian McCaffrey ou Austin Ekeler, auront plus de valeur aux yeux des franchises que des coureurs purs. Et dans tous les cas, la durée de vie d’un RB va rester un frein. Du côté de la NFL, l’évolution vers un jeu aérien plus présent est la norme actuelle, et qu’ils le veuillent ou pas, les RB doivent l’accepter.
Ils méritent évidemment d’être payés, comme toutes les autres positions d’ailleurs. D’autres postes, comme ceux de linebacker, safety ou centre, sont également considérés comme non « premium », et ils ne font pas de vagues.
La réflexion sur la modification des contrats rookies est un axe intéressant, même s’il sera difficile de peser face à la NFL et face à la convention collective en place.
La période d’acceptation est la plus compliquée pour les running-back, et le marché finira bien par se stabiliser. Et ils n’ont pas vraiment le choix, car l’argent disponible est identifiable (salary cap), et la part allouée aux RB a diminué. Ils doivent donc se faire à l’idée de toucher moins d’argent qu’avant. Et qui sait, un jour peut-être, la NFL rebasculera vers le jeu au sol, et un nouvel âge d’or des running-backs s’ouvrira…